Abandon des combustibles fossiles – Action militante en mai et juin 2021

Si une multitude d’institutions doivent être tenues responsables de la crise climatique, il n’est pas exagéré de dire que la plupart des catastrophes climatiques auxquelles nous assistons chaque jour – des inondations massives en Inde aux sécheresses et aux canicules aux États-Unis – sont imputables à une poignée d’entreprises de combustibles fossiles. Cependant, les militant⋅e⋅s n’ont pas l’intention de laisser faire. Parmi ces compagnies climaticides figurent Royal Dutch Shell, ExxonMobil et Chevron, qui ont chacune perdu des batailles importantes contre les militant⋅e⋅s du climat en mai.

Chevron et Exxonmobil sont des entreprises américaines qui pèsent respectivement 205 et 267 milliards de dollars. Elles figurent aux deuxième et quatrième rangs de la liste publiée par The Guardian des principaux émetteurs de carbone dans le monde depuis 1965. Shell, cinquième entreprise mondiale, est une société anglo-néerlandaise qui pèse 163 milliards de dollars et se classe au septième rang des plus gros émetteurs de carbone. Bien que son siège soit situé dans le Nord, son empire de combustibles fossiles s’étend sur toute la planète et, en plus de contribuer à la crise climatique, nombre de ses projets déplacent directement les communautés locales ou leur portent préjudice, les scandales passés incluant de multiples violations massives des droits de l’homme

Les luttes militantes contre ces entreprises sont une caractéristique essentielle du mouvement depuis des décennies, et de nouvelles campagnes voient le jour pratiquement chaque semaine. Cette année encore, la campagne “Future Beyond Shell” a été lancée par une coalition de trois groupes d’activistes : le Centre for Research on Multinational Corporations, les chercheur⋅euse⋅s activistes du Transnational Institute et les activistes néerlandais⋅e⋅s contre les combustibles fossiles Code ROOD. Cette campagne vise à diffuser la recherche et les stratégies anti-Shell afin d’inciter davantage de groupes et d’individus à s’attaquer au géant des combustibles fossiles. Parmi les autres campagnes anti-combustibles fossiles qui ont récemment pris de l’importance, citons la campagne contre l’oléoduc d’Afrique de l’Est et la campagne Stop Cambo.

27 mai – Mayday pour les combustibles fossiles

Mais le 27 mai, tout a changé : trois victoires majeures ont été remportées en une seule journée contre les compagnies de combustibles fossiles Chevron, Exxonmobil et Shell, marquant ce que beaucoup ont décrit comme un ” tournant ” pour l’action climatique.

Chez Chevron, le changement est venu de l’intérieur. Lors d’une assemblée des actionnaires, 61 % d’entre elleux ont voté en faveur de la réduction des émissions générées par la vente de leurs produits – une étape importante, même si elle n’est pas encore accompagnée de plans concrets sur la manière d’y parvenir. En outre, deux autres votes, exigeant que l’entreprise rende compte de son impact sur l’environnement et de ses efforts de lobbying, ont été soutenus par 48 % des actionnaires – pas suffisamment pour être adoptés, mais un signe clair du mécontentement croissant à l’égard de la complicité de l’entreprise dans la destruction du climat.

Chez Exxonmobil, un bouleversement interne similaire a eu lieu lorsqu’un minuscule fonds spéculatif sur le climat, connu sous le nom de Engine N° 1, a remporté trois sièges d’administrateur⋅trice⋅s au sein du conseil d’administration d’Exxon, qui compte 12 membres. Exxon s’est opposée à ces sièges au moyen d’une coûteuse campagne de 35 millions de dollars, mais elle a été soutenue par certains des plus gros investisseur⋅euse⋅s de la société, dont la société d’investissement BlackRock. Exxonmobil est également confrontée à la perspective de nouvelles pertes, immédiatement après la première, avec des procès intentés par les États du Massachusetts et du Connecticut, qui tentent de tenir la société responsable d’avoir trompé ses client⋅e⋅s et ses actionnaires sur l’ampleur de son impact sur le climat.

Pendant ce temps, aux Pays-Bas, Shell a essuyé une défaite spectaculaire devant les tribunaux grâce à une alliance de militant⋅e⋅s dirigée par Milieudefensie, la branche néerlandaise des Amis de la Terre. La campagne a débuté en 2018, lorsque les militant⋅e⋅s ont réalisé que les protestations seules n’étaient pas assez efficaces et que les tribunaux étaient peut-être le seul moyen d’influencer ces vastes entreprises. Contrairement à de nombreuses autres affaires de ce type, l’objectif n’était pas d’obtenir une compensation financière – juste de forcer l’entreprise à réduire ses émissions. L’essentiel de la campagne a consisté en des recherches, menées par une équipe de militant⋅e⋅s presque exclusivement âgé⋅e⋅s de moins de 30 ans. Le procès s’est déroulé sur quatre jours en décembre 2020 et le verdict a été annoncé le 27 : Shell doit réduire de 45 % ses émissions de CO2 d’ici à 2030 (par rapport aux niveaux de 2019), conformément à l’accord de Paris.

Climate activists celebrating after having won a court case against Shell.

Sjoukje van Oosterhout, militante et responsable politique de Milieudefensie, a décrit l’impact de cette victoire :

“Dans le mouvement pour le climat, nous n’avons pas l’habitude de gagner… Ce verdict a redonné tellement d’énergie positive au mouvement, et l’espoir que le changement soit possible. Des organisations nous ont contactés pour nous dire que nous leur avons donné de l’énergie pour continuer leur combat.”

Shell a récemment annoncé sa décision de faire appel, et peu après, la coalition d’activistes a envoyé une lettre à Shell demandant une conversation, dans l’espoir d’empêcher l’appel. “Shell a beaucoup à perdre en faisant appel”, a expliqué M. Sjoukje – en plus des dépenses, “les investisseur⋅euse⋅s, les actionnaires, seront instables pour les prochaines années.”

‘Drop Shell’ – Occupying the Museum

Loin de se reposer sur leurs lauriers, les activistes n’ont été que davantage incité⋅e⋅s à frapper contre ces géants des combustibles fossiles par les victoires du 27 mai. Le mois dernier, la section londonienne du groupe de jeunes activistes UK Student Climate Network (UKSCN) a lancé sa campagne “Drop Shell” contre le Science Museum de Londres, plus précisément contre une exposition sponsorisée par Shell.

UKSCN climate activists protesting against Shell in front of the Science Museum.

L’exposition, qui prétendait porter sur les “solutions au changement climatique”, était axée sur les technologies futuristes de capture du carbone et comprenait des pancartes de militant⋅e⋅s utilisées sans autorisation. Des scientifiques comme la Dr Emma Sayer, qui ont participé à l’exposition, ont déclaré qu’ils n’avaient pas été informé⋅e⋅s du parrainage de Shell avant d’accepter d’y contribuer. “Nous comprenons que les choses ont été difficiles pour les musées… mais il est tout de même inexcusable d’être sponsorisé par Shell”, déclare Tamar, une militante de l’UKSCN Londres.

La campagne de l’UKSCN fait suite à une tentative des scientifiques d’Extinction Rebellion de perturber le jour de l’ouverture de l’exposition. Cela a commencé par des pétitions et une lettre ouverte, avant de se transformer en boycott du musée et en manifestations à l’extérieur. Cette initiative n’ayant pas été suivie d’effet, l’UKSCN a décidé d’organiser un sit-in à l’intérieur du musée le 19 juin afin d’attirer l’attention dont le mouvement avait besoin. L’occupation, que Tamar a décrite comme “la récupération de l’espace des compagnies de combustibles fossiles“, comprenait des discussions de groupe pacifiques, la fabrication de pancartes, de la musique et un dérouler de bannières à l’intérieur du musée. Au départ, la sécurité du musée semblait bienveillante, et comme les protestations nocturnes précédentes d’autres groupes dans des musées tels que la Tate avaient été couronnées de succès, les activistes ne prévoyaient pas de problèmes.

Cependant, les militant⋅e⋅s ont découvert par la suite que la police avait déjà été appelée à ce moment-là. Deux heures seulement après la fermeture du musée pour la nuit, une trentaine d’agent⋅e⋅s sont arrivé⋅e⋅s, tentant d’intimider les militant⋅e⋅s et les menaçant d’arrestation sous l’accusation infondée “d’intrusion aggravée”. Les militant⋅e⋅s ont accepté de partir pacifiquement, mais n’ont pas tardé à exprimer leur condamnation lors d’une autre manifestation organisée devant le musée le lendemain.

L’impact de la protestation a été considérable, notamment sur les médias sociaux ; et si le musée n’a pas encore renoncé au parrainage de Shell, le mouvement a, nous l’espérons, dissuadé d’autres institutions de permettre un tel greenwashing dans des espaces destinés à l’éducation honnête de la jeunesse.

Et maintenant ? – Comment vous pouvez aider

La campagne de l’UKSCN est toujours en cours, et les militant⋅e⋅s visent actuellement une collaboration future avec le syndicat des travailleur⋅euse⋅s du musée, qui a soutenu la manifestation. Si vous voulez aider, vous pouvez soutenir UKSCN en les suivant sur les médias sociaux et en vous joignant à leur boycott du Science Museum. La campagne “Future Beyond Shell” est également en cours, ainsi que de nombreuses autres actions contre les combustibles fossiles, notamment une action en justice contre la société française Total, à laquelle Milieudefensie offre son soutien et son expertise.

Alors que les efforts visant à demander des comptes aux entreprises de combustibles fossiles se poursuivent, l’un des outils les plus puissants est la pression publique – et il nous appartient à tou⋅te⋅s de contribuer à maintenir cette pression. Les militant⋅e⋅s de Milieudefensie ont attribué une grande partie de leur victoire à cette pression, déclarant : “Je ne pense pas que nous serions là où nous sommes aujourd’hui si les jeunes n’étaient pas descendus dans la rue.” L’action du gouvernement est également précieuse, car les lois sont l’une des rares choses auxquelles les mégacorporations peuvent être obligées d’obéir – ce qui rend les actions de pression sur les dirigeant⋅e⋅s encore plus vitales, notamment autour d’événements tels que le prochain sommet mondial sur le climat COP26 à Glasgow cette année.

Et surtout, comme le dit Sjoukje : “N’arrêtez jamais de protester. Cela aide vraiment.”

Written by:

  • Jessi Kitchen

    Militant britanno-australien pour le climat et la justice sociale

  • Jon Bonifacio

    Militant pour le climat et la justice sociale des Philippines